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Fille d’agriculteurs, je vis aujourd’hui dans un château

Femina 36 Temoin Agricultrice Chatelaine

Certains disent que nous sommes des privilégiés. Je n’aime pas ce mot.

© Matthieu Spohn

J’habite un vallon très vert – vert de pluie. Un vallon paisible, un peu éloigné des grandes villes, dans un château du XVIIIe siècle, de style Régence, dont mon mari et moi sommes tombés amoureux il y a une quinzaine d’années. J’aime ses murs empreints d’histoire qui ont accueilli d’illustres visiteurs, tel que Rousseau, ses espaces généreux… J’apprécie particulièrement son parc avec ses tilleuls centenaires, dans lequel notre chien adore courir.

Jamais je n’aurais imaginé un jour habiter un tel endroit. Cadette d’une famille d’agriculteurs lucernois de neuf enfants, je n’avais pas ces rêves-là. Dans les années 1950, nous menions une vie de labeur, catholique et politisée. Pourtant, j’en garde de beaux souvenirs, à l’image de ces dimanches soir où nous sortions nos instruments de musique pour improviser, dans la joie, des concerts familiaux. Etant arrivée sur le tard – ma mère m’a eue à cinquante ans –, j’ai reçu beaucoup d’amour.

Une famille fière de moi

Petite fille timide, je trouvais refuge dans les livres. Alors que je rêvais de devenir médecin ou actrice, mes parents espéraient plutôt que j’entre dans les ordres. A l’époque, c’était un privilège pour ces grandes familles qu’un des enfants se consacre à Dieu. Mais après une année chez les sœurs à Montreux, où j’ai été envoyée pour apprendre le français, j’ai réalisé que je n’avais pas la vocation.

N’aspirant pas non plus à une vie monotone à la campagne, je suis allée travailler, les sept années qui ont suivi mes études de commerce, dans différents pays pour apprendre de nouvelles langues et m’imprégner d‘autres cultures. L’Angleterre, la Belgique, l’Espagne, New York… J’ai accédé à des postes de plus en plus importants, sous le regard admiratif de ma famille.

Après être restée un temps auprès de ma maman qui était malade, j’ai pris la route de l’Amérique latine pour une société nyonnaise. J’ai rencontré mon mari à cette période, chez des amis. Ça a été le coup de foudre! Il était Bernois, parlait les mêmes langues que moi et avait étudié et travaillé dans les mêmes pays que moi. Cinq jours après notre rencontre, il me déclarait sa flamme. Une année plus tard, nous nous mariions.

Devant la carte du monde

Nous nous sommes installés près de Lausanne, où j’occupais un poste de cadre pour une société de cosmétiques de luxe. Mon mari avait son entreprise en investissements financiers. Au terme de sept années de travail continu, nous avons ressenti le besoin de réaliser un projet à l’étranger. En procédant par élimination devant la carte du monde, nous sommes arrivés à notre surprise sur l’Australie. Alors que mon mari trépignait à l’idée de partir, j’étais un peu moins enthousiaste. A mes yeux, l’Australie était une vaste étendue de terres brûlées, dont les habitants parlaient un anglais à l’accent affreux. Le jour du départ, quand un déménageur s’est étonné de notre projet en découvrant notre appartement et la vue sur le lac, ma gorge s’est nouée. J’ai passé une mauvaise nuit. Que faisions-nous?

Arrivés sur place, nous avons lancé notre société d’investissements. Un vrai défi. Entre les fermes à racheter, l’industrie minière, l’immobilier et les opérations boursières, nous avons travaillé sans compter. Reste que j’ai eu de la peine à apprivoiser ce monde rural. Perth, la ville où nous habitions, était au début des années 1980 isolée et très conservatrice. Mais elle a évolué, comme l’Australie. J’ai fini par adorer ce pays, son ciel immense et le sens de l’humour de ses habitants.

L’art aborigène? Nous l’avons découvert lors d’une visite chez un ami artiste. Pratiqué depuis 60 000 ans, mais très récent dans son expression contemporaine sur toile avec teintes acryliques ou ocres, cet art commençait à prendre son essor. Bien sûr, nous connaissions la problématique des Aborigènes, exclus de la société à la découverte de l’Australie en 1770 par James Cook, qui a qualifié l’île de «Terra Nullius» (ndlr: terre sans maître).

1000 kilomètres sac au dos

Nous avons commencé à acheter des toiles, à la grande surprise de nos amis qui trouvaient ces peintures étranges. Parallèlement à mon intérêt grandissant pour cet art, je me suis ouverte à une autre dimension de la spiritualité - j’ai intégré la méditation dans mon quotidien et je me suis formée à la méthode Feldenkrais, qui allie le corps et l’esprit. Dans chaque tableau, il y a des clés pour comprendre la vie, respecter la terre… Ce sont des paraboles à eux tout seul.

Alors que nous pensions passer notre retraite en Australie, mon mari a commencé à avoir la nostalgie des vieilles pierres d’Europe. C’est à cette époque, à la fin des années 1990, que nous avons décidé de faire le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle. Sac au dos, nous avons parcouru plus de 1000 kilomètres en deux mois. Une expérience très forte, que j’ai d’ailleurs relatée dans un livre publié en Australie.

Ouverture d’un musée à Môtiers

Le chemin du retour semblait s’amorcer… Car juste un peu après, un jour où nous étions de passage à Neuchâtel pour nos affaires, nous avons découvert le domaine du Château d’Ivernois. Il n’était pas à vendre, mais aussitôt, nous nous y sommes projetés. Passionnés d’arts et d’histoire, nous avons plusieurs collections. Le domaine offrait le volume idéal pour y installer notre Fondation (Burkhardt-Felder Arts et Culture) et y ouvrir notamment un musée dédié à l’extraordinaire diversité de l’art aborigène. Séduit par notre projet, le propriétaire a fini par céder. Les travaux de rénovation terminés, nous nous sommes installés en 2006, en plein hiver. Dehors, il n’y avait que du blanc et du bleu. Je me souviens avoir pensé: «C’est le paradis

C’est dans ce cadre magnifique que nous avons ouvert le musée en 2008. Dans cet écrin qu’est le village de Môtiers, nous avons réuni ce que nous aimons: les arts, l’histoire, la culture européenne, l’Australie et la nature. Nous accueillons la famille et nos amis, sans oublier les échanges enrichissants avec les visiteurs du musée. Certains disent que nous sommes des privilégiés. Je n’aime pas ce mot. Je dirais plutôt que ça a été un privilège de vivre cette vie. Chaque jour, j’en suis reconnaissante.


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