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#FeminaOpinion: «Je me suis évanouie dans le train, et personne n'a levé les yeux»

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«Honteuse, rougissante, toujours parterre, je préparais déjà la réponse rassurante qu'il me faudrait adresser aux autres passagers, certainement sur le point de me demander si ça allait... Tiens, ils ne me demandent rien? En fait, personne n'avait levé les yeux.»

© Abbie Bernett / Unsplash

En plus de sept ans d'aller-retours quotidiens, je n'avais encore jamais eu l'occasion d'observer le plafond d'un train. Mais hier après-midi, à bord du Lausanne-Genève de 17h18, disons que je n'ai pas vraiment eu le choix. Que vous dire? C'est blanc. Ou peut-être que la couleur dépend du modèle du train? Je ne sais pas. Allongée à même la moquette, dans l'entre-deux-wagons, je sentais mes longs cheveux dévaler les marches sales qui mèneraient les passagers à quai, dans une quinzaine de minutes. Moi, je gisais là, ridicule, les jambes en l'air. Après une première vague de panique, j'avais réussi à rassembler suffisamment de lucidité pour réaliser qu'il ne s'agissait probablement que d'une chute de tension: j'allais déjà mieux. C'était de ma faute; je n'avais pas assez mangé, et m'étais un peu trop dépensée à la salle de sport. Mon corps était, pour ainsi dire, à court d'essence.

Prise d'un soudain élan de stress (dont la cause absurde m'a échappée), pourtant bien installée dans mon siège, en face d'un quinquagénaire en costume, j'avais senti mes membres s'engourdir, ma vue s'assombrir et mes oreilles bourdonner. Afin de ne pas tomber dans les vapes, je m'étais précipitamment allongée sur le dos, dans le première volume d'air libre que j'avais trouvé, à moins de trois mètres de là: «Oh, là, là, je vais tomber», avais-je annoncé inutilement, abandonnant smartphone, porte-monnaie et sac à main sur place (pas le temps d'être matérialiste, ou de m'agripper à ma fierté).

Quelle honte, franchement! Tout ça pour ça... Penaude, rougissante, toujours parterre, je préparais déjà la réponse rassurante qu'il me faudrait adresser aux autres passagers, certainement sur le point de me demander si ça allait. («Oh, ne vous inquiétez pas, monsieur, je me sens déjà mieux!») Tiens, ils ne me demandent rien? Je risquai un regard devant-moi. Personne n'avait levé les yeux.

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Bon, il n'y avait clairement pas de quoi dramatiser, ce n'était rien: quelques minutes plus tard, je me redressais calmement pour regagner ma place (et dévorer la barre de céréales que j'aurais dû manger deux heures plus tôt). J'allais bien. Mais ça, les autres passagers ne pouvaient pas le savoir, lorsque je me pâmais comme une duchesse au corset trop serré, au milieu du vestibule! Dans un autre contexte, j'aurais pu avoir moins de chance, et nécessiter de l'aide rapidement. Cela pourrait arriver n'importe quand, n'importe où, et à n'importe qui (oui, vous aussi!).

Qu'auraient-ils fait si, plutôt que de tomber sur une étourdie comme moi, ils s'étaient retrouvés face à une personne âgée, malade, ou une femme enceinte, victime d'un malaise?

Une fois assise, j'observai le monsieur en costume, en face de moi. Ses yeux n'avaient pas quitté l'écran de son smartphone. A ma droite, trois adolescents immobiles, inintéressés, affichaient des expressions mornes et scrollaient machinalement sur leur gadget. A gauche, une jeune femme me lança un bref regard intrigué, qu'elle détourna aussitôt avoir croisé le mien.

J'eus le sentiment désagréable qu'ils avaient peur de moi. Je n'avais pourtant pas fait exprès de provoquer un léger remou dans leur routine, ni expulsé un nuage de germes contagieux!

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Incapable de comprendre, frôlant le fou rire nerveux, je tentai de me mettre à la place de ces passagers, qui feignaient toujours n'avoir rien vu. Sans doute s'étaient-ils dit que «quelqu'un d'autre» prendrait la situation en main, si nécessaire. («Qui ça, moi? Ah, mais attendez, je n'ai rien vu moi, j'ai un alibi, je regardais une story sur Instagram!»). Ou alors craignaient-ils que les autres passagers les jugeraient, s'ils daignaient quitter la posture socialement acceptée du «pendulaire qui s'ennuie dans le train». Peut-être avaient-ils senti la panique les envahir, en réalisant que même s'ils s'étaient précipités vers moi, ils n'auraient pas su comment me sauver la mise, si j'avais été en situation de détresse. Ainsi, plutôt que d'affronter cette possibilité, ils avaient préféré fuir. Fuir dans leur smartphone.

Ou alors - et cette idée me rend folle - ils n'avaient réellement pas remarqué que quelque chose se passait. Peut-être pensaient-ils que je m'étais simplement jetée dans le vestibule pour... me reposer? Après être descendue du train et avoir avalé un cookie entier à la gare, pour reprendre des forces, la colère me gagna: («Attendez, qu'est-ce qui vient de se passer, là?») Quelle absurdité comportementale ce genre d'attitude révèle-t-elle de notre société actuelle?

Sommes-nous devenus de craintifs petits égoïstes, désemparés devant la nécessité d'adresser la parole à un inconnu, ou de manifester une forme de réaction émotionnielle parmi les rangs de visages impassibles, vissés à leurs écrans? L'émotion n'est pas une maladie, et la manifester n'est pas bizarre.

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Levez les yeux!

Avant que l'on me reproche une généralisation malvenue, je sais bien qu'un grand nombre de personnes aident les inconnus à se relever, lorsqu'ils glissent sur une plaque de verglas. Je sais que les intentions des gens sont bonnes et qu'ils ont envie de bien faire. Mais il est temps que (certains d'entre) nous ré-apprenions à lever les yeux, à croiser des regards humains sans nous crisper, à dire bonjour aux sans-abris et aux balayeurs de rue (ils vous voient hein, votre smartphone n'est pas doté d'une fonction «cape d'invisibilité»!), à nous inquiéter, ne serait-ce que quelques secondes par jour, du bien-être des inconnus qui nous entourent. Et à cesser de craindre le «qu'en dira-t-on»: les gens s'en fichent complètement (mieux encore: faites quelque chose de suffisamment fou, et ils vous remercieront d'avoir nourri leurs stories boomeranguées!).

Tiens, la prochaine fois que vous prendrez le train, regardez le plafond. Voilà une perspective que vous ne connaissiez certainement pas encore. Il y a tant de choses à voir, dans le monde réel.

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